Les lettres envoyées aux dirigeants étrangers par le Prophète Muhammad ﷺ
Dans la quête de répandre le message de l'Islam, le Prophète Muhammad ﷺ a utilisé diverses méthodes de communication. Parmi celles-ci, l'envoi de lettres aux dirigeants des grandes puissances de l'époque représente une étape cruciale de sa stratégie diplomatique. Ces correspondances, rédigées avec soin et portées par des émissaires choisis, témoignent de l'universalité du message islamique et de la vision globale du Prophète ﷺ. Découvrons ensemble ces lettres historiques qui ont changé le cours de l'histoire.
Le contexte historique de l'envoi des lettres
Après la conclusion du traité de Hudaybiya en l'an 6 de l'Hégire (628 apr. J.-C.), le Prophète Muhammad ﷺ se trouva dans une position relativement stable pour la première fois depuis le début de sa mission. Cette trêve avec les Qurayshites de La Mecque lui offrit l'opportunité d'étendre son message au-delà des frontières de la péninsule arabique.
Le Prophète Muhammad ﷺ comprit que l'appel à l'Islam devait toucher tous les peuples, conformément à sa mission universelle mentionnée dans le Coran :
{Et Nous ne t'avons envoyé qu'en miséricorde pour l'univers.}Sourate Al-Anbiya - Verset 107
C'est dans ce contexte que le Prophète ﷺ décida d'envoyer des émissaires portant ses lettres aux souverains des grandes puissances environnantes. Cette initiative s'appuyait sur le commandement divin d'appeler les gens à l'Islam :
{Invite (les gens) au sentier de ton Seigneur par la sagesse et la bonne exhortation. Et discute avec eux de la meilleure façon.}Sourate An-Nahl - Versets 125
Avant d'envoyer ses lettres, le Prophète Muhammad ﷺ prit soin de se renseigner sur les coutumes diplomatiques de l'époque. Selon les récits authentiques, il fit même fabriquer un sceau en argent portant l'inscription "Muhammad, Messager d'Allah" pour sceller officiellement ses correspondances.
D’après Anas Ibn Malik qu’Allah l’agrée "Le Prophète ﷺ s'est fait faire un anneau en argent et y a fait graver 'Muhammad Messager d'Allah'. Il dit : 'Que personne ne grave une inscription semblable à celle de mon sceau.'"Rapporté par Al-Bukhari, n° 5877
La préparation des lettres et le choix des émissaires
Le Prophète Muhammad ﷺ accordait une importance capitale à la forme et au contenu de ses lettres, ainsi qu'au choix des émissaires chargés de les porter. Ces messagers devaient non seulement remettre les lettres, mais aussi répondre aux éventuelles questions des souverains et éventuellement débattre avec eux.
Pour cette mission cruciale, le Prophète ﷺ choisit parmi ses compagnons ceux qui possédaient les qualités nécessaires : maîtrise des langues étrangères, éloquence, connaissance profonde de l'Islam, et prestance digne de représenter l'Islam devant les plus grands souverains du monde.
Dihya ibn Khalifa al-Kalbi qu'Allah l'agréé fut envoyé auprès de l'empereur byzantin
Abdullah ibn Hudhafa as-Sahmi qu'Allah l'agréé auprès du roi de Perse
Amr ibn Umayya ad-Damri qu'Allah l'agréé auprès du Négus d'Abyssinie (Éthiopie)
Hatib ibn Abi Balta'a qu'Allah l'agréé auprès du Muqawqis d'Égypte.
D'après Anas Ibn Malik qu’Allah exalté soit-il l’agrée “le Prophète ﷺ écrivit à Chosroès (roi de Perse), à Héraclius (empereur de Rome), au Négus (roi d'Abyssinie) et à tous les tyrans, les invitant à Allah, le Très-Haut.”.Rapporté par Muslim, n° 1774
Les lettres suivaient généralement une structure similaire. Elles commençaient par la formule "Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux", suivie d'une salutation au destinataire, puis d'une invitation à l'Islam, appuyée par des versets du Coran, et se concluaient par une mise en garde contre le refus de cette invitation.
La lettre à Héraclius, empereur de Byzance
Parmi les correspondances les plus détaillées dans les sources islamiques figure celle adressée à Héraclius, l'empereur byzantin. Cette lettre fut confiée à Dihya ibn Khalifa al-Kalbi qu'Allah l'agréé, choisi pour sa prestance remarquable.
Le texte de cette lettre, conservé dans les recueils de hadiths authentiques, était le suivant :
"Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. De Muhammad, serviteur d'Allah et Son Messager, à Héraclius, souverain de Byzance. Que la paix soit sur quiconque suit la bonne direction. Je t'invite à l'Islam. Embrasse l'Islam, tu seras sauvé, et Allah te donnera une double récompense. Mais si tu te détournes, tu porteras le péché de tes sujets. {Dis : "Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n'adorions qu'Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors d'Allah". Puis, s'ils tournent le dos, dites : "Soyez témoins que nous, nous sommes soumis".}"Rapporté par Al-Bukhari, n° 7
La réaction d'Héraclius est rapportée en détail dans un long hadith narré par Abu Sufyan (qui n'était pas encore musulman à cette époque), présent en Syrie pour le commerce lorsque la lettre fut remise à l'empereur. Héraclius convoqua Abu Sufyan et son groupe pour les interroger sur le Prophète Muhammad ﷺ.
"Lorsque Héraclius reçut la lettre du Messager d'Allah ﷺ, il demanda s'il y avait dans ce pays quelqu'un qui appartenait au peuple de cet homme qui prétendait être prophète. Abu Sufyan dit : 'On nous dit que le messager de l'empereur de Byzance était arrivé à Ilya (Jérusalem)... Héraclius ordonna que nous nous présentions devant lui dans sa cour royale.'"Rapporté par Al-Bukhari, n° 7
Après avoir posé plusieurs questions sur le Prophète Muhammad ﷺ et ses enseignements, Héraclius fit une déclaration étonnante à Abu Sufyan :
"Si ce que tu dis est vrai, il conquerra bientôt l'emplacement de mes deux pieds. Je savais qu'il allait apparaître, mais je ne pensais pas qu'il serait de votre peuple. Si je savais que je pourrais l'atteindre, j'entreprendrais le voyage pour le rencontrer, et si j'étais auprès de lui, je lui laverais les pieds."Rapporté par Al-Bukhari, n° 7
Bien qu'Héraclius ait reconnu la véracité du message, des considérations politiques l'empêchèrent de se convertir, craignant de perdre son trône et sa vie.
La lettre à Chosroès II, empereur de Perse
Abdullah ibn Hudhafa as-Sahmi qu'Allah l'agréé fut chargé de porter la lettre du Prophète ﷺ à Chosroès II Parviz, l'empereur sassanide de Perse. La lettre suivait un format similaire à celle envoyée à Héraclius, invitant le roi à l'Islam.
"Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. De Muhammad, Messager d'Allah, à Chosroès, souverain de Perse. Que la paix soit sur quiconque suit la bonne direction, croit en Allah et en Son Messager, et témoigne qu'il n'y a de divinité qu'Allah, l'Unique, sans associé, et que Muhammad est Son serviteur et Son Messager. Je t'invite à l'appel d'Allah, car je suis le Messager d'Allah envoyé à toute l'humanité pour avertir quiconque est vivant et pour que la parole se réalise contre les mécréants. Embrasse l'Islam, tu seras sauvé. Si tu refuses, tu porteras le péché des Mages."Rapporté par Ibn Kathir dans Al-Bidaya wa an-Nihaya, n° 3313
Contrairement à la réception respectueuse d'Héraclius, Chosroès réagit avec colère et arrogance. Il déchira la lettre du Prophète ﷺ, un acte qui provoqua une réaction prophétique :
"Lorsque la lettre du Prophète ﷺ parvint à Chosroès, il la lut, puis la déchira. Quand cette nouvelle parvint au Prophète ﷺ, il dit : 'Qu'Allah le déchire en pièces.'"Rapporté par Al-Bukhari, n° 4424
Cette prédiction se réalisa peu après, lorsque l'empire perse connut des troubles internes, culminant avec l'assassinat de Chosroès par son propre fils, Shirawayh, en 628. Dans les décennies suivantes, l'empire sassanide s'effondra complètement face aux conquêtes musulmanes.
La lettre au Négus d'Abyssinie
Le Négus (ou Najashi en arabe), roi d'Abyssinie (l'actuelle Éthiopie), avait déjà montré sa bienveillance envers les musulmans en accueillant les premiers émigrés qui avaient fui les persécutions de La Mecque. Le Prophète Muhammad ﷺ envoya Amr ibn Umayya ad-Damri qu'Allah l'agréé avec une lettre invitant officiellement le souverain à l'Islam.
"Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. De Muhammad, le Messager d'Allah, au Négus, roi d'Abyssinie. Que la paix soit sur toi. Je loue Allah devant toi, il n'y a de divinité que Lui, le Souverain, le Très Saint, le Pacifique, le Fidèle, le Vigilant. Et j'atteste que Jésus, fils de Marie, est l'esprit d'Allah et Sa parole qu'Il a envoyée à Marie, la vierge pure. Elle le porta, et Allah le créa de Son esprit et de Son souffle, comme Il créa Adam de Sa main. Je t'invite à Allah, l'Unique, sans associé, à Lui obéir, et à me suivre et à croire en ce qui m'a été révélé, car je suis le Messager d'Allah. Je t'invite, toi et tes soldats, à Allah le Très-Haut. J'ai transmis et conseillé, alors accepte mon conseil. Et que la paix soit sur quiconque suit la bonne direction."Rapporté par Ahmad dans son Musnad, n° 17836
Le Négus répondit favorablement à cette invitation, comme en témoigne le hadith suivant :
D'après Anas Ibn Malik qu’Allah exalté soit-il l’agrée “le Prophète ﷺ écrivit à Chosroès (roi de Perse), à Héraclius (empereur de Rome), au Négus (roi d'Abyssinie) et à tous les tyrans, les invitant à Allah, le Très-Haut.”.Rapporté par Muslim, n° 1774
En effet, lorsque le Négus qui avait accueilli les musulmans mourut, le Prophète Muhammad ﷺ annonça sa mort le jour même à ses compagnons et dirigea une prière funéraire en son absence, indiquant sa conviction que le Négus était mort en musulman.
"Le jour où le Négus mourut, le Prophète ﷺ informa les gens de sa mort et dit : 'Un de vos frères justes est mort, levez-vous et priez pour lui.' Nous nous sommes levés et avons formé des rangs, et il a dirigé la prière funéraire pour lui."Rapporté par Al-Bukhari, n° 1333
La lettre au Muqawqis d'Égypte
Hatib ibn Abi Balta'a qu'Allah l'agréé fut envoyé avec une lettre au Muqawqis, gouverneur byzantin d'Égypte. La lettre suivait le même format que les autres, invitant le dirigeant à embrasser l'Islam.
"Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. De Muhammad, serviteur d'Allah et Son Messager, au Muqawqis, chef des Coptes. Que la paix soit sur quiconque suit la bonne direction. Je t'invite à l'appel de l'Islam. Embrasse l'Islam, tu seras sauvé, et Allah te donnera une double récompense. Si tu refuses, tu porteras le péché des Coptes. {Dis : "Ô gens du Livre, venez à une parole commune entre nous et vous : que nous n'adorions qu'Allah, sans rien Lui associer, et que nous ne prenions point les uns les autres pour seigneurs en dehors d'Allah". Puis, s'ils tournent le dos, dites : "Soyez témoins que nous, nous sommes soumis".}"Rapporté par Ibn Kathir dans Al-Bidaya wa an-Nihaya, n° 3314
Le Muqawqis accueillit l'émissaire avec respect mais n'embrassa pas l'Islam. Il répondit diplomatiquement en envoyant des cadeaux au Prophète ﷺ, dont deux servantes coptes, Maria et sa sœur Sirin, un mulet blanc nommé Duldul, un âne et d'autres présents.
"Hatib qu'Allah l'agréé a dit : Le Muqawqis prit la lettre du Messager d'Allah ﷺ, la plaça dans une boîte en ivoire, la scella et l'envoya à l'une de ses servantes. Puis il écrivit au Messager d'Allah ﷺ... Il offrit au Messager d'Allah ﷺ trois présents : Maria qui devint la mère de son fils Ibrahim, une servante qui fut donnée à Hassan ibn Thabit, et mille mithqals d'or."Rapporté par Ibn Abdel Barr dans Al-Istiab, n° 1832
Maria devint plus tard une des épouses du Prophète ﷺ et lui donna un fils, Ibrahim, qui mourut en bas âge.
Les lettres aux autres dirigeants
Outre ces quatre lettres principales, le Prophète Muhammad ﷺ envoya également des correspondances à d'autres souverains et chefs tribaux de la région. Parmi eux :
Al-Mundhir ibn Sawa, gouverneur de Bahreïn, qui accepta l'Islam.
Hawdha ibn Ali, chef de Yamama, qui refusa l'invitation mais proposa un partage du pouvoir, offre que le Prophète ﷺ rejeta.
Al-Harith ibn Abi Shamir al-Ghassani, gouverneur de Damas sous autorité byzantine, qui rejeta le message avec colère.
Jayfar et Abd, fils d'Al-Julanda, rois d'Oman, qui embrassèrent tous deux l'Islam après avoir reçu la lettre du Prophète ﷺ.
Ces démarches diplomatiques illustrent l'approche méthodique et universelle du Prophète Muhammad ﷺ, qui cherchait à établir des relations pacifiques avec les diverses puissances et à étendre le message de l'Islam au-delà des frontières de l'Arabie.
L'impact des lettres prophétiques sur la diplomatie islamique
L'initiative du Prophète Muhammad ﷺ d'envoyer des lettres aux dirigeants étrangers marque un tournant dans la stratégie de propagation de l'Islam. Cette démarche révèle plusieurs aspects importants :
La vision universelle de l'Islam : En adressant ses lettres aux grands empires de l'époque, le Prophète ﷺ démontre que le message islamique n'est pas limité aux Arabes mais s'adresse à l'humanité entière, conformément au verset :
{Et Nous ne t'avons envoyé qu'en miséricorde pour l'univers.}Sourate Al-Anbiya - Verset 107
Une diplomatie basée sur des principes : Les lettres suivaient un modèle cohérent, commençant par l'invitation à l'Islam, expliquant brièvement ses principes fondamentaux et concluant par une mise en garde contre les conséquences du refus.
Une stratégie à long terme : Même si la plupart des souverains ne se convertirent pas immédiatement, ces correspondances établirent les premiers contacts entre le jeune État islamique et les puissances mondiales, ouvrant la voie aux relations futures.
Ibn Abbas qu'Allah l'agréé rapporte :
"Le Messager d'Allah ﷺ a écrit à Héraclius, l'invitant à l'Islam, et a envoyé sa lettre avec Dihya al-Kalbi, lui ordonnant de la remettre au gouverneur de Busra qui la transmettrait à Héraclius." Rapporté par Al-Bukhari, n° 7
Ce récit montre l'attention portée aux protocoles diplomatiques, le Prophète ﷺ respectant la hiérarchie administrative de l'Empire byzantin.
Les enseignements tirés des lettres du Prophète ﷺ
L'étude des lettres envoyées par le Prophète Muhammad ﷺ aux dirigeants étrangers nous permet de tirer plusieurs enseignements importants :
Importance de la communication directe : Le Prophète ﷺ choisit de s'adresser directement aux décideurs, reconnaissant leur autorité tout en les invitant à reconnaître l'autorité supérieure d'Allah ﷻ.
Respect et dignité dans la diplomatie islamique : Malgré leurs différences religieuses, le Prophète ﷺ s'adresse aux souverains avec respect, sans compromettre les principes de l'Islam.
Clarté du message : Les lettres sont concises et directes, présentant l'essence de l'Islam sans ambiguïté.
Preuve de l'universalité de l'Islam : Ces correspondances démontrent que l'Islam ne se limite pas à une ethnie ou une région particulière, mais s'adresse à tous les peuples.
Importance des compétences diplomatiques : Le choix minutieux des émissaires montre l'importance accordée aux compétences linguistiques, culturelles et à la capacité de représenter dignement l'Islam.
Le Prophète Muhammad ﷺ a établi ainsi les fondements de la diplomatie islamique, qui allait jouer un rôle crucial dans l'expansion de l'Islam et les relations internationales des États musulmans pendant des siècles.
💾 Ce qu’il faut retenir
Après la trêve de Hudaybiya, le Prophète Muhammad ﷺ initia une campagne diplomatique d'envergure internationale en adressant des lettres aux grands souverains de son époque.
Chaque lettre suivait une structure similaire : invitation à l'Islam, brève présentation des principes fondamentaux, et avertissement sur les conséquences du refus.
Le Prophète ﷺ sélectionna soigneusement ses émissaires en fonction de leurs qualités et compétences, notamment linguistiques et diplomatiques.
Les réactions des souverains furent variées : respect de la part d'Héraclius, rejet violent de Chosroès, acceptation du Négus, et réponse diplomatique mais non-conversion du Muqawqis.
Ces lettres établirent les principes fondamentaux de la diplomatie islamique : respect des protocoles, clarté du message, et reconnaissance de l'autre sans compromission des principes.
Elles démontrent l'universalité du message islamique, destiné à toute l'humanité et non limité aux Arabes.
La prédiction du Prophète ﷺ concernant la chute de l'empire perse après que Chosroès eut déchiré sa lettre se réalisa, renforçant sa crédibilité prophétique.
Ces correspondances diplomatiques posèrent les jalons des relations internationales qui allaient se développer pendant l'expansion islamique subséquente.
Cette initiative démontre la transition de l'Islam d'un mouvement local à une religion mondiale avec des ambitions universelles.
Les lettres témoignent de l'approche pacifique privilégiée par le Prophète ﷺ, cherchant d'abord à convaincre par le dialogue avant toute autre forme d'action.